
REACH, C'est un acronyme anglais de cinq lettres qui met en ébullition, depuis près de cinq ans, industriels et écologistes. Reach (1), le projet de législation européenne sur les produits chimiques, vise à instaurer, sur onze ans, un nouveau système d'enregistrement, d'évaluation et d'autorisation. Environ 30 000 substances fabriquées dans des quantités dépassant une tonne par an seraient enregistrées et testées pour vérifier leur toxicité sur l'environnement et la santé afin d'éliminer les plus dangereuses. Le texte doit être voté aujourd'hui en première lecture par les eurodéputés à Strasbourg. Retour sur ce que tout le monde s'accorde à décrire comme l'une des plus grandes opérations de lobbying de l'histoire européenne. Sur le même sujet Dès le départ, les deux camps écologistes et industriels ont compris que la bataille serait rude. Car Reach porte sur des enjeux très concrets. Cosmétiques, produits d'entretien, peintures, vêtements, moquettes, téléviseurs... sont parfois lourdement «chargés». En février 2001, l'exécutif européen publie un livre blanc qui décrit les grandes lignes du projet. Les écologistes applaudissent, les industriels contre-attaquent. Officiellement, ils soutiennent les «objectifs» du projet et veulent seulement le rendre «praticable». Mais comme le souligne un responsable du Fonds mondial de la nature (WWF), «les industriels ne sont pas bêtes, ils savent qu'ils ne peuvent pas attaquer de front un projet reposant sur des objectifs aussi louables que la santé et l'environnement». Trio présidentiel. La bataille des chiffres commence. L'Union des industries chimiques françaises fait réaliser une étude par le cabinet Mercer qui conclut que le projet pourrait coûter de 29 à 54 milliards d'euros et 36 000 emplois à l'économie hexagonale sur dix ans. Les Allemands font de même. Fin septembre 2003, avant même que l'exécutif européen finalise son projet législatif, Gerhard Schröder, Jacques Chirac et Tony Blair écrivent une lettre au président de la Commission, Romano Prodi, où ils lui demandent de «ne pas porter atteinte à la compétitivité internationale de la chimie européenne». Les organisations écologistes s'insurgent contre les prévisions alarmistes véhiculées par les industriels et accusent les gouvernements d'être «les porte-parole du lobby chimique». Depuis, près de quarante études se sont succédé, aux résultats souvent contradictoires. La proposition de la Commission est publiée en octobre 2003. Les ambitions sont revues à la baisse. Prodi n'est pas resté insensible aux arguments d'une industrie européenne qui occupe le premier rang mondial, pèse plus de 500 milliards d'euros et emploie près de 1,7 million de salariés. Le champ de bataille se déplace vers les députés européens et le Conseil des ministres, les deux colégislateurs qui doivent examiner le texte. Au Conseil, les chefs d'Etat et de gouvernement confient le dossier aux ministres de l'Industrie. Au Parlement, fait rare, la commission environnement est chargée de piloter le travail, mais elle se voit associer l'industrie et le marché intérieur. Huit autres sont chargées de rendre un avis. Test sanguin. Les Allemands, dont l'industrie chimique est la première en Europe, trustent le maximum de responsabilités. Sur les dix commissions parlementaires, ils obtiennent six rapporteurs dont quatre issus des rangs conservateurs. Du pain béni pour le Cefic, la voix de la chimie à Bruxelles, comme pour l'Unice, le patronat européen. Tous deux poursuivent leur lobbying habituel : envois d'argumentaires, suggestions d'amendements, rendez-vous avec les parlementaires clés... «A force d'entendre un même message, il devient vrai, confie un eurodéputé. C'est si compliqué que c'est facile de nous faire changer d'avis.» De leur côté, les défenseurs de l'environnement déclenchent des campagnes chocs. S'ils ont des moyens humains et financiers dérisoires par rapport à l'industrie, ils savent qu'ils peuvent mobiliser l'opinion publique. Le WWF teste le sang de députés et ministres européens. Les résultats révèlent la présence de cinquante-cinq agents chimiques utilisés dans les canapés, les poêles à frire antiadhésives, les boîtes à pizza qui résistent au gras... Certains sont interdits depuis longtemps ; d'autres toujours utilisés. Greenpeace s'attaque aux parfums. A la veille de la Saint-Valentin, l'association avait révélé que plusieurs parfums de marques très connues contiennent des substances chimiques qui risquent de pénétrer dans l'organisme, se dégradent difficilement et peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. Aux eurodéputés de trancher. (1) Registration Evaluation and Authorization of Chemicals (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques). |
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